relatifs à l'objection de conscience à l'impôt militaire
- Si on reconnaît les objections de conscience à l'égard de l'affectation militaire de l'impôt (OCAMI), tout le monde va avoir des objections de conscience et, ça, nous ne le voulons pas.
L'objection de conscience au service militaire a été reconnue en 1964. Cette reconnaissance n'a pas entraîné un afflux de demandes de reconnaissance d'autres objections de conscience. Elle a en revanche eu pour conséquence que des personnes se sont senties davantage reconnues, ce qui rejaillit au bout du compte sur le bien-être l'ensemble de la société. Si la reconnaissance des OCAMI devait avoir pour conséquence qu'un autre groupe demande la reconnaissance de ses objections de conscience au niveau fiscal, cette demande devrait être appréciée par le Parlement en fonction de sa valeur et faire l'objet d'une loi spécifique.
La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (Charte de Nice, 2000, article 10) stipule que : « Le droit à l'objection de conscience est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l'exercice. » Si les OCAMI sont reconnues comme objections de conscience, il convient de proposer une solution raisonnable (et même évidente). Dans notre proposition de loi, cette solution est un versement à un fonds organique, un fonds pour la paix qui serait créé. Quoi qu'il en soit, la reconnaissance d'objections de conscience n'aura jamais pour conséquence une baisse des recettes pour l'État mais uniquement une réorientation spécifique.
Il existe naturellement d'autres objections à l'affectation des impôts (pour les allocations sociales, pour l'opéra, pour les réfugiés, etc.), mais le Parlement saura faire la différence entre un choix politique ou des intentions égoïstes d'une part, et des objections de conscience insurmontables dans des questions de vie et de mort d'autre part.
Étant donné que le législateur a expressément reconnu les objections de conscience en matière militaire, la législation fiscale est en contradiction avec cette législation interne si elle ne garantit pas au citoyen la même liberté de conscience.
- Aucune loi ne précise ce qu'est une objection de conscience. Une définition préalable est nécessaire pour éviter les abus.
Le Parlement ne peut pas dire à l'avance ce qui sera dans l'avenir une objection de conscience. S'il le faisait, il ôterait toute possibilité d'action aux parlements ultérieurs. En effet, la société et la culture sont en évolution constante. La loi sur les objections de conscience au service militaire ne contient pas non plus de définition de l'objection de conscience en général.
Toutes les objections de conscience déjà reconnues sont liées à la conviction « qu'on ne peut pas tuer ses semblables » (article 1 de la loi coordonnée belge du 20 avril 1989). Les traités internationaux comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Cipo) et la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) reconnaissent la liberté de conscience et son expression sans définir plus avant le contenu de la conscience et sans mentionner l'objection de conscience. Le Comité des droits de l'homme de l'ONU (Human Rights Committee) est plus explicite et déclare dans son observation générale n° 22 (48) du 20 juillet 1993 au sujet de l'article 18 du Cipo que « le droit à l'objection de conscience peut être déduit de l'article 18 du Cipo, dans la mesure où l'obligation d'employer la force au prix de vies humaines peut être gravement en conflit avec la liberté de conscience et le droit de manifester sa religion ou ses convictions. » (§ 11)
Selon nous, ce jugement est totalement applicable à l'objection de conscience à la complicité à « l'emploi de la force au prix de vies humaines » via le paiement d'impôts pour des dépenses militaires. La complicité est une notion connue en droit. L'objecteur de conscience à l'emploi de la force au prix de vies humaines qui est contraint par l'État à apporter un soutien financier ou logistique à un acte par lequel d'autres emploient la force au prix de vies humaines est rendu coupable par complicité contre sa conscience et contre son gré.
- Il faut bien une armée
La reconnaissance de l'objection de conscience ne constitue pas une entrave à la politique de maintien d'une armée menée par la majorité au Parlement. La reconnaissance de l'objection de conscience au service militaire physique n'impliquait d'ailleurs pas non plus la réduction ou la suppression des forces armées. Aujourd'hui non plus, la proposition de loi ne mentionne pas une telle réduction ou suppression, et écarte même cette possibilité dans ses développements. La reconnaissance d'une objection de conscience est une mesure au bénéfice d'une minorité qui n'a pas elle-même le pouvoir de changer la politique.
- Nous ne voulons pas d'une démocratie à choix multiples. Le gouvernement et le Parlement doivent prendre leur responsabilité et faire des choix.
Nous ne sommes pas non plus en faveur d'une « démocratie à la carte ». Le gouvernement et le Parlement doivent mener une politique qui réponde aux besoins de la population, une politique juste et équitable. Pour les riches et les grandes entreprises, il existe dans la déclaration d'impôt tellement de charges déductibles, d'exceptions et d'astuces pour payer moins d'impôts qu'on parle de « technologie fiscale de pointe ». Cette tolérance du Parlement pour la course au profit est en contraste criant avec le refus de reconnaître et de réglementer fiscalement l'objection de conscience à la complicité de meurtre. Nous ne demandons pourtant pas de payer moins d'impôts, mais uniquement que la partie militaire de ces impôts reçoive une autre affectation.
- C'est la porte ouverte à tout et n'importe quoi!
La porte est déjà ouverte dans plusieurs domaines en matière fiscale sans que cela ait entraîné une impossibilité de gouverner. Le contribuable peut par exemple faire des dons à toutes sortes d'organisations et les déduire de ses impôts. Le contribuable fait des dons pour un montant de 200 € peut payer jusqu'à 100 € d'impôts en moins. Les dons pour la paix et le règlement non violent des conflits sont toutefois exclus de cette réglementation. Nous ne demandons pas de payer moins d'impôts, mais qu'une affectation pacifique soit donnée à la partie militaire de ces impôts. Le produit total de l'impôt pour l'État reste identique.
La porte est également ouverte via les nombreuses charges fiscalement déductibles autorisées par la loi. Certaines de ces dépenses fiscales sont défendables parce qu'elles présentent un intérêt pour la société : prêts hypothécaires, dépenses pour les gardes d'enfants, chèques ALE, titres-services, etc. D'autres dépenses fiscales ne profitent qu'aux grandes entreprises.
Les dépenses fiscales (en fait : moins de recettes fiscales pour l'État) mentionnées dans les paragraphes précédents représentent jusqu'à 20 % des recettes de l'impôt des personnes physiques ! Il s'agit donc de montants très élevés. Le fonctionnement de l'État et le pouvoir budgétaire du Parlement ne seront sûrement pas menacés parce que quelques objecteurs de conscience demandent que la partie militaire de leurs impôts soit transférée à un fonds civil pour la paix. Les personnes qui récupèrent une partie de leurs impôts via des dons et d'autres charges déductibles donnent - avec l'autorisation du législateur - une autre affectation à leurs impôts, à savoir elles-mêmes !
Pourquoi la porte est-elle grande ouverte à toutes sortes de dépenses fiscales socialement valables ou moins légitimes, alors qu'elle reste fermée aux objecteurs de conscience qui, en vertu de leur conviction la plus profonde, ne peuvent pas être fiscalement complices de meurtre et de guerre, mais sont prêts à payer des impôts pour la vie et pour la paix?
- Le pouvoir budgétaire du Parlement et la non-affectation des recettes doivent être respectés.
Les rentrées communes sont en général affectées à des dépenses communes. Cette universalité des recettes et des dépenses implique également la non-affectation des recettes. Néanmoins, la proposition de loi n'est pas inconstitutionnelle. Il existe une dérogation prévue par la loi, à savoir le fonds budgétaire organique prévu par l'article 45, § 1 des lois coordonnées sur les dépenses publiques. Ceci permet d'affecter certaines rentrées à certaines dépenses. Un tel fonds budgétaire organique est créé par le Parlement, qui fixe ainsi l'affectation de certaines recettes (qu'on ne peut pas prévoir exactement). Le Parlement peut donc aussi donner l'autorisation au contribuable de diriger la partie militaire de ses impôts, non vers lui-même comme c'est le cas avec la déduction fiscale, mais vers un fonds pour la paix. Le contribuable n'en retire aucun avantage fiscal mais sa conscience est prise en considération. La création d'un fonds fiscal pour la paix dépend donc de la volonté politique du Parlement de prendre au sérieux cette objection de conscience. De plus, elle permet de contribuer à promouvoir la paix via une solution raisonnable et évidente.
- Si les contribuables peuvent verser leurs impôts dans un fonds organique pour la paix, il y aura moins de recettes pour le budget général et le gouvernement devra rogner sur d'autres postes budgétaires.
En théorie, c'est exact. Mais c'est en partie un faux problème. L'argent versé dans le fonds organique pour la paix sert également à la défense, à savoir la défense civile. Les dépenses militaires et le fonds pour la paix constituent ensemble les dépenses belges pour la défense nationale. Vis-à-vis de l'Otan également, le gouvernement peut faire valoir l'important effort de défense et de paix fourni par la Belgique (en admettant que le gouvernement ait davantage à se justifier devant l'Otan que devant la population).
Au total, les rentrées fiscales demeurent identiques. Si le nombre d'objecteurs de conscience reste limité, les recettes pour le budget général total ne connaîtront pas de changement notable. L'établissement du budget pour la défense militaire et tous les autres postes budgétaires pâtiront à peine de la réorientation des impôts des objecteurs de conscience vers le fonds budgétaire organique pour la promotion civile de la paix. Il est possible que l'équilibre budgétaire risque temporairement d'être perturbé si des sommes importantes sont versées à ce fonds pour la paix et un peu moins au budget général. Dans ce cas, le gouvernement aura manifestement sous-estimé l'importance que la population accorde aux efforts civils pour la paix. Il devra alors faire des choix politiques sur les recettes et les dépenses lors du contrôle budgétaire et, surtout, avec le Parlement, lors de l'établissement des budgets suivants. Le gouvernement et le Parlement ont précisément pour tâche de tenir compte du désir de paix de la population.
- Nous sommes contre un individualisme à outrance et pour la solidarité. C'est à l'État de veiller à cette solidarité.
Nous partageons tout à fait ce point de vue. L'État doit opter pour la protection des faibles. Un état réellement démocratique doit également faire en sorte de respecter les minorités et les objecteurs de conscience. Les minorités doivent avoir l'occasion d'apporter leur contribution à la société et d'affiner ainsi la démocratie. En tant qu'individus, les objecteurs de conscience au service militaire et à l'affectation militaire des impôts sont justement hautement solidaires du bien-être social et de la promotion de la paix. Les droits humains civils et politiques traditionnels, comme la liberté de culte et de conscience, sont en partie individuels mais ont également une influence positive sur la teneur démocratique de l'État. Nous ne pouvons qu'inviter l'État à utiliser de manière constructive cette démocratie de base. En association avec des droits humains plus récents d'ordre plus économique, social et culturel - et notamment la paix -, les organisations de défense des droits humains et les ONG apportent une contribution précieuse à la société au niveau local, national et mondial.
- Le principe d'égalité est inscrit dans la Constitution. Si l'objection de conscience à l'affectation militaire de l'impôt est reconnue, toute personne estimant avoir une objection de conscience pourra saisir le tribunal (et donc aussi à la Cour d'arbitrage) pour obtenir l'égalité de traitement. Dès lors, ce n'est pas le Parlement mais la justice qui décidera ce qu'est une objection de conscience.
Le droit à l'objection de conscience est déjà reconnu dans les questions de vie et de mort (service militaire, euthanasie, avortement). Les tribunaux peuvent effectivement mettre en lumière une discrimination, une violation du principe d'égalité et des anomalies dans le système juridique d'un pays donné. Cependant, ils travaillent sur la base de lois existantes et ne font eux-mêmes aucune loi. C'est le Parlement qui s'en charge.
Ce genre de contre-arguments est surtout dicté par la peur, et la peur est mauvaise conseillère en politique. Elle ne favorise pas les discours et les actes courageux des responsables politiques. Elle empêche souvent de faire ce qui est bien et justifié, et qui doit être fait.
- Il vaudrait mieux créer un institut pour la paix qu'un fonds fiscal pour la paix.
Le budget pour un institut pour la paix n'apportera aucune réponse à la détresse morale de l'objecteur de conscience si ce dernier n'est pas reconnu explicitement et individuellement. Par ailleurs, ce budget doit correspondre à 8,55 % de l'impôt sur les revenus de l'ensemble des objecteurs de conscience, c.-à-d. le pourcentage qui possède actuellement une affectation militaire.
Si la peur ne jouait pas le rôle qu'elle joue, le fonds fiscal pour la paix pourrait permettre des réalisations magnifiques, comme le mentionne la proposition de loi. Il existe partout de grandes et de petites initiatives pour promouvoir la paix : des petites équipes des Peace Brigades International et de l'approche plus large de la Force non violente de paix (Nonviolent Peaceforce) aux programmes publics, parfois embryonnaires, qui existent déjà pour le règlement pacifique des conflits en Allemagne, en Norvège, aux Pays-Bas ... et en Belgique.
Les moyens du fonds fiscal pour la paix pourraient être consacrés directement à ces programmes. Ainsi, l'objection de conscience serait respectée et la promotion de la paix prendrait réellement forme.
Avril 2005